mercredi 29 février 2012

UNE PERCEPTION ANIMALE

Dame nature est la mère bien féconde de Travis Parr. Jeune artiste américain venant du Colorado, son art se distille le long d’un trait graphique affirmé. Explorant les limites de la science en peinture, Parr offre un univers dominé par l’animal. Cette vision étonnante du monde s’illustre à travers une palette chromatique sombre. Le bleu installe un climat de plénitude, tout en octroyant un caractère inquiétant à l’animal. Un étrange paradoxe, qui sert le discours de l’artiste voyant: «l’Art comme une source d’idéaux et de visions pour l’humanité».
Travis Parr, Mountain Goat, 2010,
giclée sur toile, 97,5 x 67,5 cm

Alors que les toiles antérieures à 2007 présentent des décors peuplés d’humains, bariolés de couleurs vives, les œuvres passées 2008 placent l’Animal en sujet principal. Seule composante récurrente: le regard ironique de Parr sur l’esprit humain et son environnement.
Travis Parr, Deep Breakfast, 2006,
acrylique sur toile, 76 x 101 cm
Dans la toile Deep Breakfast, le jeune peintre met en place une scène grotesque de petit déjeuner en pleine montagne où l’homme apparaît ridicule. L'humain, terne et vidé de toute expression, laisse place à la nature et de l’animal, qui occupent alors la place principale. Placé en arrière plan, le lapin aux cornes s’impose comme le sujet de malice de l’œuvre. Bien que l’exposition dans la galerie Spacejunk présente quelques une des ces toiles délirantes, l’accent est mis sur des réalisations plus récentes.
Travis Parr, Grey Crow, 2009,
acrylique sur toile, 59,5 x 49,5 cm
Travis Parr, Turtle, 2010,
giclée sur toile, 99 x 67,5 cm
Travis Parr, Elk, 2010,
giclée sur toile, 98 x 67 cm

L’artiste met en place un univers plus ténébreux, où les animaux sont maitres. Telle une série de portrait où corbeau, chèvre et tortue s’élèvent  avec férocité sur un fond à l'atmosphère pesante. Le monde fantastique de Parr est audacieux et puissant. Un monde peint à l’acrylique, sans esquisses préparatoires en majorité. Les pièces présentées sont des peintures originales et des reproductions sur toile. Ce qui n’enlève rien à la valeur artistique du peintre, contrairement à ce que pensent certains visiteurs. L’art est de question démarche et d’univers plastique, et non d’unicité!

Travis Parr, Can we fix this?

L’exposition «The landscapes of perception» est sa première exposition solo en Europe. L’occasion de découvrir le royaume fantasque et contrasté de Travis Parr à Spacejunk jusqu’au 17 mars.



Travis Parr, The Landscapes of perception
Du 2 février au 17 mars 2012
16 rue des capucins
69001 Lyon

par C²

samedi 25 février 2012

L'Oeil Bristolien


Nombreux s’accordent à dire que les yeux sont "le miroir de l’âme", une caractéristique unique à chacun, qui nous différencie de nos pairs. Bien que nous soyons tous à la recherche de la prunelle d’autrui, pour communiquer, pour se rapprocher, pour troquer la parole pour un regard, seuls d’intimes privilégiés peuvent se vanter de connaitre les authentiques secrets de la pupille d’un être aimé.

Andrew Hickinbotham, artiste diplôme de la Hornsey School of Art à Londres a entrepris le projet ambitieux de dévoiler le caractère à la fois individuel et universel de l’œil humain. C’est suivant cette conception de l’iris que projet que le "Bristol Eye Project" est né. 
Claire.S'eye, collaboratrice pour Bristol Eye Project,dirigé par Andrew Hickinbotham




"En se concentrant uniquement sur les traits spécifiques de l’oeil, le projet comportait l’opportunité de mettre en avant les points communs naturels de l’homme, une fois libérés des contraintes sociales que sont l’âge, le sexe, la classe sociale ou l’origine géographiqueNos yeux sont l’attribut que nous recherchons le plus en autrui, la couleur étant le caractère le plus employé pour les décrire. Seulement, rares sont les moments où l’on puisse s’abandonner entièrement au complexités et teintes multiples que constituent l’oeil humain."

Le projet a rassemblé 212 Bristoliens, qui ont prêté leurs regards pour les fins de Bristol Eye Project. En seulement 7 jours, du 28 mars 2011 au 3 avril 2011, Adam Hickinbotham a capturé 500 photographies d’iris. Le seul critère de sélection était la ville de résidence qui devait être celle de Bristol. Il est également intéressant de noter que le Bristol Eye Project est une production artistique qui a été entièrement financé par l’artiste.

Andrew Hickinbotham, The Bristol Eye Project
http://bristoleyeproject.com/participants-2/ 

Le Reporter de l'Improbable

mardi 21 février 2012

LE MYSTERE DES OISEAUX BLEUS DE MARSDEN - NOTICE D'OEUVRE

Né le 19 juillet 1962 en Grande Bretagne, Stephen Marsden aime éprouver les matériaux. Installé en France depuis plusieurs années, l’artiste ne cesse de se confronter à la sculpture. Il maîtrise l’ensemble des techniques classique du modelage au moulage, en passant par la taille des pierres et la fonte. Jean de Bengy, ancien inspecteur général de la création et des enseignements artistiques au sein du ministère de la culture et de la communication, qualifiait les statues de Stephen Marsden «d’un classicisme mesuré et affirmé, avec une technique sûre de la taille ». Véritable explorateur de la sculpture, il envisage cette technique comme une expérience de la création.

Stephen Marsden (né en 1962), Birdsecret, 1999 - 2004, 
trois sculptures en résine polyester peinte et vernie. 
Sculpture 1 : 255 cm de hauteur, 125 cm de diamètre. 
Sculpture 2 : 195 cm de hauteur, 120 cm de diamètre. 
Sculpture 3 : 180 cm de hauteur, 120 cm de diamètre.

Son travail de sculpteur s’inscrit dans un processus de collection. Depuis plus de 10 ans, Stephen Marsden récupère au hasard des jours des objets ordinaires, qu’il va ensuite sculpter en l’image idéale qu’il s’en fait. Ces «bibelots» aux allures étranges et souvent de petites tailles, lui servent de travail préparatoire. Il les assemble, les rassemble, les combine pour former des maquettes en vue de pièces plus grandes. L’artiste a recourt à l’agrandissement dans de nombreux travaux de sculptures. Ce procédé est le socle de sa démarche artistique. Il obtient ainsi de grandes sculptures de résine, aux formes hallucinantes, qui semblent avoir rompues tout lien avec la réalité, avec les objets de départ. L’ensemble apparaît alors fantasque, monstrueux.

Dans son discours, l’artiste pense la sculpture comme un lien direct avec le corps: interaction entre la sculpture et le corps du sculpteur, entre la sculpture et le corps des spectateurs. Ce rapport au corps se retrouve dans de nombreux travaux. Plusieurs sculptures ont pour origine des préservatifs, comme Birdsecret, et conduisent à des formes des plus énigmatiques.


Birdsecret est une œuvre acquise par le FRAC Languedoc-Roussillon en 2010. Il s’agit d’un ensemble de trois sculptures, réalisée entre 1999 et 2004, en résine polyester peintes et vernies. Avant son acquisition, cette pièce a été exposée à de nombreuses reprises. Durant l’été 2009, le FRAC Limousin montre Birdsecret lors de l’exposition «Rencontre singulière entre œuvre d’art et patrimoine», à l’occasion de l’événement «En Résonance 6». L’hiver suivant, les sculptures sont présentes sur le domaine du Château Comptal de Carcassonne pour l’exposition «Poésie militaire». En juin 2010, c’est au tour du FRAC Languedoc-Roussillon de dévoiler cette œuvre pour l’exposition «Casanova Forever».

Pour réaliser ces sculptures, avoisinant les deux mètres de haut, l’artiste a convoqué son «geste de récupération». Prenant comme base des préservatifs enfilés fantaisie, il détourne la fonction pour offrir un nouvel espace poétique à ces statuettes.
Le travail de sculpteur de Stephen Marsden se découpe en plusieurs étapes. Pour cette pièce, il a d’abord moulé les préservatifs. Le moulage alors obtenu est agrandi par un lent et laborieux travail d’amplification afin de produire un nouveau modelage en terre cuite. L’artiste parvient ainsi à un grand moule, dans lequel il coule une épreuve en résine synthétique. Après un temps de séchage de plusieurs jours, l’artiste démoule les œuvres et obtient ces grandes sculptures brillantes.

Stephen Marsden (né en 1962), Household gods, 1997 - 1998, 
onze sculptures en résine polyester et peinture acrylique.
Dimension variables.


Stephen Marsden intégre le préservatif dans son œuvre pour la première fois dans un ensemble de sculpture intitulé Household Gods, à travers lequel il évoque l’érotisme physique et psychologique lié à l’objet. Avec Birdsecret, l’artiste a également recourt au préservatif, mais le message n'est plus le même. Ici le préservatif Fantaisie renvoie à la figurine animale. L'ambiguïté entre l'objet original, rapport au sexe, et la forme produite, aspect enfantin, crée des objets dits transitionnels.
S’élevant toujours plus haut, ces immenses oiseaux d’un bleu turquoise intriguent. Coupées de leur réalité d’origine, les figurines rentrent dans une nouvelle dimension physique et symbolique, de par leur échelle disproportionnée et la nature inattendue du matériau.

En effet, l’aspect lisse et brillant du vernis appliqué confère une dimension particulière à ces volatiles. Reflétant la lumière avec douceur, ces personnages aux allures hallucinatoires semblent tout droit sortis d’un songe. La couleur bleutée qui les habille renforce cet effet de rêve, ce sentiment d’immatériel. Etablissant ainsi un paradoxe avec l’effet escompté par la résine, qui retranscrit parfaitement la nature du préservatif. L’image de l’oiseau, transposée dans une dimension oisive par le vernis et la couleur, vient en opposition avec l’aspect « latex » du préservatif donné par l’utilisation de la résine. Alors, une question survient: que sont vraiment ces statues?

Drôles et attendrissants à la fois, les Birdsecret suscitent la curiosité. S’agit-il de pièces d’un jeu de l’oie? De jouets pour enfants? D’objets sexuels pour adultes? L’œil du spectateur est livré à lui-même et chacun peut imaginer ce qu’il souhaite. Ces amusantes statues, nous jaugeant du haut de leur bec, laissent place à tout un monde d’interprétation et gardent cacher en elles leurs secrets. Le titre même de l’œuvre indique la nature mystérieuse de ces oiseaux bleus. Gonflées dans leur peau de « latex », les trois statues se jouent du spectateur, l’artiste se joue du spectateur. Stephen Marsden interroge l’autre dans son rapport à la contraception et cette ambiguité transitionnelle, où l’enfant se cache encore chez l’adulte. En plus d’être, comme le définit Marc Lenot, une «expérience de la création: pression des doigts dans le moule en latex, répétition des geste de la taille», la sculpture de Stephen Marsden devient une expérience psychologique.





par C²

lundi 13 février 2012

XXI SIECLE, ART CONTEMPORAIN & RELIGION

Dans son premier essai, Catherine Grenier conservateur des collections contemporaines au Musée national d’art moderne de Paris, explore la place qu’occupe la religion chrétienne chez les artistes de la fin du XXe siècle et du début du XXIe siècle. Avec un titre pleins de promesses, L’art contemporain est-il chrétien?, elle explore «la question de l’art et de son lien à la spiritualité et au divin».






L’auteur avance que l’art contemporain puise dans l’histoire chrétienne, sans pour autant en n’affirme sa filiation. Les limites de la religion n’apparaissent plus nettement et en ce début de siècle la défaite des utopies s’impose. Les artistes explorent donc le terrain religieux afin d’y retrouver un modèle opérationnel. Les scandales qui gravitent autour de certaines œuvres et qui apparaissent alors comme blasphématoires sont en réalité des questionnements existentiels. Jérôme Cottin, dans son ouvrage La mystique de l'art, art et christianisme de 1900 à nos jours, dit à ce sujet: «Dans leur très grande majorité, les artistes qui utilisent délibérément une iconographie ou des thèmes chrétiens, souvent même quand leur interprétation est parodique, sont mus dans leur démarche artistique par un questionnement fondamental, voire métaphysique. C’est le cas avoué et pourtant insuffisamment reconnu part tous ceux qui ne vont pas voir au-delà du scandale, de Mark Wallinger, de Maurizio Cattelan, de Mark Quinn, de Peter Land ou de Damien Hirst.». 

L’art du XXIe siècle place l’homme au cœur de son projet, comme l’a fait la religion il y a déjà des siècles. Mais il réinterprète les thématiques, ce qui l’inscrit dans cette mouvance à mi chemin entre le sacré et le profane.


Avec ce premier essai, Catherine Grenier nous apporte un regard éclairé sur la notion de religiosité chrétienne de l’art contemporain. Le sujet est traité en profondeur. Le style de l’auteur est scientifique et le fond riche. L’ouvrage, qui balaye tous les arts: cinéma, photographie, installation, peinture, performance; donne la réponse à son titre. Il confère au lecteur les clés d’une nouvelle interprétation de la scène artistique internationale. Cependant, le recours à un vocabulaire écclésiastique rend la lecture sinueuse. De même, le sujet principal étant l’art contemporain, cette étude s’adresse à un public avisé en la matière. Et malgré des connaissances en histoire de l’art, la lecture est compliquée car étouffée par une mise en page non aérée. Les entrées de lecture sont difficiles. Toutefois, cet essai est édifiant concernant le sujet de l'art contemporain et son caractère religieux, malgré son manque d’efficacité dans l’édition.


par C²